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L'écolier
5. Notation et prix
« Que la distribution des prix soit une véritable fête ; et que toute la commune, autorités, gens notables et petites gens, et les pères et les mères, et l’orphéon et la fanfare, viennent non pas seulement pour applaudir et honorer une élite d’écoliers, mais pour témoigner, devant tous les enfants, devant leurs familles, trop souvent indifférentes, de la nécessité de l’instruction, du rôle prédominant qu’elle doit avoir dans un pays de suffrage universel où chacun est responsable de la chose publique, où chacun aussi, selon sa valeur, peut librement se faire au soleil sa place légitime ! » souligne Eugène Rendu dans le manuel de l’enseignement primaire.
« Beaucoup d’écoles primaires, dit la circulaire ministérielle du 13 août 1864, n’ont point de ces fêtes de fin d’année, où la bonne conduite et le travail sont publiquement récompensés. Il en résulte qu’on trouve dans les écoles peu d’émulation, et qu’un certain nombre d’élèves les désertent une partie de l’année. Il serait bon cependant que chaque village eût sa fête annuelle de l’enfance et du travail. La dépense qu’elle entraînerait serait bien minime et, à défaut de la commune ou du département, des particuliers, j’en suis sûr, tiendraient à honneur de s’en charger. Il ne vous sera pas difficile, Monsieur le préfet, de persuader aux maires et aux notables de votre département, que l’argent donné pour l’enfance, est, à tous les points de vue, de l’argent placé à gros intérêt. »
« Je persiste à croire, dit une autre instruction ministérielle (11 juillet 1865) que cette coutume serait excellente à la condition expresse que les prix seront délivrés avec discrétion, pour n’être donnés qu’aux élèves les plus méritants. »
Affiche sur les prix de l'école primaire de Clères, an 9
Le petit journal : les premiers lauriers
Dans la circulaire du 16 avril 1878, on précise : « D'après les rapports qui me sont transmis de divers départements, la plupart des instituteurs, auraient, depuis quelques années, une tendance marquée à multiplier outre mesure les prix dans leurs écoles les récompenses, et croiraient pouvoir donner ainsi satisfaction au vœu des familles, sans compromettre les intérêts de l'enseignement.
D’un autre côté, afin d’obtenir le résultat qui vient d’être signalé, les administrations municipales ou départementales auraient, dans bien des cas, favorisé l’acquisition de livres, à vil prix, et qui, le plus souvent, n’ont aucun mérite ni moral ni littéraire.
Je ne saurais trop regretter qu’un pareil usage se soit introduit dans nos écoles. S’il est vrai que des récompenses accordées avec mesure excitent l’émulation, il est évident, en même temps, que distribuées avec profusion et en vue seulement de répondre à un sentiment de vanité de l’enfant ou de la famille, ces récompenses produisent des résultats tout opposés. Il importe, d’ailleurs, que les jeunes élèves comprennent qu’une distinction n’a de valeur qu’en raison des efforts qu’on a faits pour s’en rendre digne.
J’estime, en outre, que, par un choix judicieux des récompenses, on habituera les parents à préférer, pour leurs enfants, des ouvrages moins nombreux sans doute, mais véritablement utiles, à ces petits livres futiles et insignifiants qu’on n’a tant prodigués qu’en raison de leur extrême bon marché… »
Pour chaque faculté (lecture, écriture, calcul,…), il y a un premier prix, un second, puis trois accessits. Le prix d’excellence ou d’honneur résulte de la supériorité sur l’ensemble des facultés récompensées.
Les invitations doivent être faites par la mairie. L’instituteur se charge seulement de remettre aux élèves les lettres qui sont destinées aux parents. Le choix du président appartient à l’autorité préfectorale.
Si les représentations théâtrales, même les mieux choisies, donnent lieu presque toujours à de fâcheux abus, il est bon cependant d’admettre la récitation intelligente de morceaux intéressants et de fables appropriées. Quelques petits morceaux de musique, chœurs, duos, sont ce qu’il y a de plus convenable pour animer avec agrément la cérémonie.
Sortie des prix à l'école maternelle.
La distribution des prix, d'après Aimé Perret.
« Les notables de l’endroit étaient invités à augmenter par des dons de livres et d’argent la masse des récompenses scolaires à distribuer. Un mois avant la solennité, l’instituteur allait sonner de porte en porte pour opérer la rafle des générosités ; il s’aplatissait, le chapeau à la main, la bouche en cœur ; il mendiait avec conviction, il remerciait en toute sincérité, comme si une part du butin lui était réservée…
Comme le nom et la qualité des donateurs étaient annoncés avec emphase, et comme le cadeau de Gadouilleux, cultivateur, était crié en ces termes : « prix d’histoire offert par M. Gadouilleux, propriétaire », la vanité déliait les bourses…
Le programme de la fête offrait un véritable choix de friandises : discours de M. le maire, fanfare, piano, sonneries des pompiers, chants et récitations par les élèves des écoles.
La partie de la représentation consacrée à l’audition des enfants était considérable. On servait, chaque année, de toute nécessité, des pièces de comédie où les garçons étaient déguisés en pâtissiers, en gendarmes, en juges, où les petites filles étaient costumées en dames avec châles et violettes, des chœurs où le cor retentissait au fond des bois et où le cerf était aux abois ; des morceaux patriotiques où l’Alsace et la Lorraine étaient reconquises ; des dialogues moraux où les parents avaient grandement raison d’être sévères et où les enfants s’en apercevaient à point pour le dire à tout le monde.
La principale raison d’exister de la fanfare était de jouer la Marseillaise à la distribution des prix.
La distribution des prix fournissait aussi à l’instituteur un motif légitime de parade et de triomphe ; c’était la date de l’année où il jouait un rôle réellement prépondérant : la cérémonie avait lieu dans sa cour à lui ; on installait l’estrade, on dressait la tente dans la propre cour de son école ; donc il recevait toute la commune chez lui…
Sur l’estrade, face au public, le Conseil municipal flambant faisait le fond d’honneur du tableau ; à droite du Conseil deux tables chargées de prix pour les garçons, à gauche une table couverte de livres pour les filles.
Le cérémonial voulait que l’instituteur et l’institutrice se tinssent debout, chacun devant son rayon, pendant toute la durée des musiques et des dictions ; puis, chacun lisait à haute voix son palmarès et débarrassait son comptoir… » (L’institutrice de province par Léon Frapié, Arthème Fayard Editeur, 1906)
Suzanne se souvient du cauchemar que lui donnaient ces deux mots : « les Prix », là-bas, autrefois, à la ville. Il lui semble éprouver à nouveau la lassitude écœurée du surmenage d’antan, les soucis de l’organisation des fêtes qui flattaient le populaire et concurrençaient le renom de l’école rivale.
C’était le coup de grâce donné aux institutrices à la fin d’une année de fatigues, la rançon suprême de vacances qui, sans doute, n’auraient pas été achetées à leur prix.
Un mois durant, il fallait copier des rôles, les faire apprendre, répéter les pièces, obtenir le naturel du mouvement et du geste d’actrices indifférentes à toute émotion. Dans les passes les plus pathétiques ou les plus gaies il fallait animer par l’exemple les interprètes inhabiles.
Ces demoiselles ne retrouvaient l’ardeur qu’en dehors des répétitions multipliant alors les accès de vivacité, de jalousie. « Celle-ci aura un rôle plus brillant, celle-là portera un costume à son avantage, telle autre en dira bien plus long sur le théâtre. »
Chaque jour, juchées sur des chaises au milieu du corridor et dominant le chœur des chanteuses, les institutrices ressassent les cantates ou dans les préaux poussiéreux, exercent les danseuses pour des ballets dont les figures compliquées, les costumes légers aux nuances vives, rendront la fête inoubliable.
Les veillées se prolongent pour coudre dans la tulle, la gaze, la satinette, la tarlatane. Quelle fièvre !
Il reste encore à préparer l’exposition des travaux manuels, à enrubanner ces travaux, à les encadrer de verdure, de fleurs, de drapeaux, de guirlandes de papier découpé. Rien n’est assez beau pour les prix !
(Institutrice, Ecoliers, Paysans, Jeanne Blin-Lefebvre, 1923)
Trente et un juillet, jour des prix… C’est un après-midi splendide, le soleil de trois heures illumine la cour de l’école où s’assemble et frémit tout un peuple enfantin. Comment dire la gaîté de ce jardin multicolore ? Gaîté un peu oppressée, compassée… on est tous en si beaux vêtements que chacun ne reconnaît plus l’autre !
- Moi, maman m’a pas frisée… elle trouve que ça fait commun…
Et l’on regarde avec un peu de dédain cette originale qui arbore sa coiffure habituelle, alors qu’il est de mode, en un tel jour, d’avoir des anglaises qui « font riche » ou tout au moins des boucles drues et ébouriffées qui vous font ressembler à de bonnes grosses poupées-fétiches sans malice pour un sou.
Les petits frères, par contre, sont soigneusement lustrés et calamistrés, un peu empesés dans le costume marin tout neuf… On a dû dévaliser le même rayon du même magasin pour que ce costume s’agite, identique aux quatre coins de la cour…
(Nicole Dupré, institutrice, Julia Dubois, éditions Eugène Figuière, 1933)
Livres de prix
EX PRAEMIO collés à l'intérieur des livres de prix.